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Œuvres de Mouloud Mammeri:

Romans :


• "La Colline oubliée" », Paris, Plon, 1952, 2nde édition, Paris, Union Générale d’Éditions, S.N.E.D., col. 10/18, 1978 (ISBN 2264009071); Paris, Folio Gallimard, 1992 (ISBN 200384748).
• "Le Sommeil du juste" , Paris , Plon, 1952, 2nde édition, Paris, Union Générale d’Éditions, S.N.E.D., col. 10/18, 1978 (ISBN 2264009081).
• "L’Opium et le bâton", Paris, Plon, 1965, 2nde édition, Paris, Union Générale d’Éditions, S.N.E.D., col. 10/18, 1978 (ISBN 2264009063), Paris, La Découverte (ISBN 2707120863) et 1992 (ISBN 009491813).
• "La Traversée" , Paris, Plon, 1982, 2nde édition, Alger, Bouchène, 1992.

Nouvelles :

• « Ameur des arcades et l’ordre », Paris, 1953, Plon, « La table ronde », N°72.
• « Le Zèbre », Preuves, Paris, N° 76, Juin 1957, PP. 33-67.
• « La Meute », Europe, Paris, N°567-568, Juillet-Août 1976.
• « L’Hibiscus », Montréal, 1985, Dérives N°49, PP. 67-80.
• « Le Désert Atavique », Paris, 1981, quotidien Le Monde du 16 Août 1981.
• « Ténéré Atavique », Paris, 1983, Revue Autrement N°05.
• « Escales », Alger, 1985, Révolution africaine; Paris, 1992, La Découverte (ISBN 270712043X).

Théâtre :

• « Le Foehn ou la preuve par neuf », Paris, PubliSud, 1982, 2nde édition, Paris, pièce jouée à Alger en 1967.
• « Le Banquet », précédé d’un dossier, la mort absurde des aztèques, Paris, Librairie académique Perrin, 1973.
• « La Cité du soleil », sortie en trois tableaux, Alger, 1987, Laphomic, M. Mammeri : Entretien avec Tahar Djaout, pp. 62-94.
Traduction et critique littéraire :

• « Les Isefra de Si Mohand ou M’hand », texte berbère et traduction, Paris, Maspéro, 1969, 1978 (ISBN 046999278) et 1982 (ISBN 0052039X); Paris, La Découverte, 1987 (ISBN 001244140) et 1994 (ISBN 013383388).
• « Poèmes kabyles anciens », textes berbères et français, Paris, Maspéro, 1980 (ISBN 2707111503); Paris, La Découverte, 2001 (ISBN 056360975). • « L ‘Ahellil du Gourara », Paris, M.S.H., 1984 (ISBN 273510107X).
• « Yenna-yas Ccix Muhand », Alger, Laphomic, 1989.
• « Machaho, contes berbères de Kabylie », Paris, Bordas.
• « Tellem chaho, contes berbères de Kabylie », Paris, Bordas, 1980.

Grammaire et linguistique :

• « Tajerrumt n tmazigt (tantala taqbaylit) », Paris, Maspéro, 1976.
• « Précis de grammaire berbère », Paris, Awal, 1988 (ISBN 001443038).
• « Lexique français-touareg », en collaboration avec J.M. Cortade, Paris, Arts et métiers graphiques, 1967.
• « Amawal Tamazigt-Français et Français-Tamazigt », Imedyazen, Paris, 1980.
• « Awal », cahiers d’études berbères, sous la direction de M. Mammeri, 1985-1989, Paris, Awal


De l’oralité au classicisme

Mammeri fait partie de ces hommes de grande envergure qui, même partis, restent plus présents que jamais. On n’a pas fini de mesurer la valeur immense de son œuvre belle comme les fleurs printanières gavées d’eau et de soleil. Ecrivain multidimensionnel, Mouloud Mammeri a produit quatre romans représentatifs chacun d’une période déterminante pour lui et pour son pays. Nous ne les avons pas suffisamment décryptés tant ils renferment de non-dits et d’images quel nul n’a su replacer dans leur contexte véritable. L’auteur avait un style alambiqué sans être obscur ; bien au contraire, il avait la maîtrise de la syntaxe et ses ouvrages sont des modèles de textes classiques trio bien travaillés pour être dépréciés. Personne n’a pu se mesurer à lui ou oser dire avoir été capable d’écrire à sa manière. «Ce que j’adore chez Mammeri, c’est non pas seulement ses livres dont je n’ai pas fini de me délecter, mais surtout son verbe limpide, recherché, enrichissant. On l’écoutait d’une oreille attentive dans ses conférences, ses cours à la fac tant Mammeri parleur reflétait parfaitement l’écrivain.» Maître de l’écriture, Mammeri a été aussi un habile polyglotte qui savait trouver le mot exact pour dire de manière convaincante. Ce qu’il avait à dire de manière convaincante dans chacune des langues qu’il maniait avec aisance. Et sa qualité rare, c’était de prendre part à toute forme de discussion, fût-elle dans un milieu d’écrivains ou de paysans illettrés. On le trouvait assis n’importe où pourvu qu’il trouvât quelqu’un d’intéressant pour débattre d’un sujet de prédilection. Son milieu naturel était celui des artisans, cultivateurs sensés, attachés à leurs traditions et détenteurs du savoir ancestral communément appelé « tamousni » accumulée au fil des siècles et dont une partie seulement a pu être sauvegardée par la mémoire. Heureusement qu’au moment opportun, Mammeri était là pour immortaliser cet héritage inestimable. Bien avant lui, Boulifa s’était attelé à la même tâche et il a tracé la voie aux générations futures. Pionnier de ce travail de récupération, Boulifa a donné une forme écrite à des poèmes anonymes de la Kabylie ancienne ainsi qu’à ceux de son contemporain, Si Mouh ou M’hand, et qu’il avait dû recueillir auprès de ceux qui les lui avaient récités au gré des circonstances, car le poète ne répétait jamais ses vers ; il fallait les mémoriser dès qu’on les avait entendus. Et grâce à son père et à tous les imousnawen de son pays, il a reconstitué des productions poétiques de grande valeur ainsi que les contes et légendes porteurs de messages historiques. L’Egyptien Taha Hussein est devenu célèbre grâce à ses qualités intellectuelles, mais aussi à ses œuvres romanesques qui ont un fond populaire, celui de l’Egypte de tous les temps. Depuis l’âge de trois ans, sa vie a été racontée dans El Ayyam ; alors qu’il était aveugle, il enregistrait tout ce qui se disait entre son père et les amis, ou entre sa mère et les autres femmes. Le ressourcement pour Mammeri se faisait particulièrement auprès de ses amis d’enfance, à la manière de Socrate qui aimait rester dans la boutique d’un forgeron pour être à l’écoute du peuple. Pour ce triste anniversaire de sa mort, nous avons jugé utile de parler de trois de ses œuvres marquantes par lesquelles l’auteur a voulu immortaliser des noms, des périodes, des productions orales de tous les temps sauvées de l’oubli.

Poèmes kabyles anciens

C’est un ouvrage en double version qu’on lit, non pas comme un roman, mais comme une anthologie de la littérature populaire qui demande des efforts de réflexion pour comprendre, retenir, comparer le talent de l’un et de l’autre. De l’avis de tous, les anciens avaient le verbe facile et leurs vers s’inspiraient du vécu collectif. Ce qui fait leur beauté. «Il était temps, dit Mammeri, de happer les dernières voix avant que la mort ne les happe. Tant qu’encore s’entendait le verbe qui résonnait depuis plus loin que Syphax et que Sophonisbe.» Chaque texte entre dans une rubrique comme dans la réalité. Il y a réservé une place de choix au poète Youssef Oukaci, l’aîné des aèdes, connus en Kabylie. Il y a eu peut-être avant lui d’autres, mais comme nous étions dans une société sans écriture, leur nom et leur production se sont perdus au fil des siècles. Youssef Oukaci, qui doit être né vers 1680, a eu des liens d’amitié avec les Ath Yanni à une époque où des évènements ont terriblement marqué la tribu comme les disettes, épidémies, guerres intestines. Même la moquée de Taourirt Mimoun s’est construite quelques décennies avant que ce poète meddah n’ait vu le jour. Youssef Oukaci était illettré mais il avait le don de versifier admirablement. Il semble que tout son répertoire s’est transmis de bouche à oreille pour arriver à être mémorisé par des imusnawen de la trempe de Salem Ath Maâmar, père de Mouloud. Le temps des cités est un thème qui regroupe deux poètes conteurs : Larbi Ath Bejaoud et Hadj Mokhtar Ath Saïd très représentatifs d’une époque. Les poètes se sont évertués à véhiculer des faits de guerre d’importance majeure à une époque où les tribus se livraient bataille pour des bagatelles : une fontaine publique que chacune revendiquait, une délimitation de territoire, une question d’honneur, un affront. Cette partie est suivie de Apologues constituée d’un ensemble de poèmes composés par une diversité d’auteurs qui ont failli être effacés des mémoires. Et comme dans toute société à longues traditions orales, l’auteur y a adjoint le domaine religieux et de la foi ainsi que la résistance à la guerre anticoloniale. Il faut lire les productions poétiques pour se rendre compte des capacités de créativité des anciens. Elles mérite largement les 50 pages d’une introduction assez bien rédigées pour être à la mesure de leur valeur esthétique et historique.

Poèmes de Si Mohand

Tel est le titre d’un recueil de poèmes de Si Mohand qui savait écrire en arabe classique et qui avait exercé le métier d’écrivain public en langue arabe ; il avait l’arabe classique appris dans une zaouia de sa région de Kabylie ; et paradoxalement le poète n’écrivait jamais ses vers. Il semait à tout vent et que tous ceux qui avaient la chance de se trouver à ses côtés retiennent ses paroles versifiées. Si Mohand était comme dans l’extrait d’Ibn Khaldoun choisi par Mammeri pour une mise en exergue à une communication assez copieuse donnée dans les années cinquante. « Chez les Zenata, une des nations du Maghreb, le poète marche devant les rangs et chante ; son chant animerait les montagnes solides ; il envoie chercher la mort ceux qui n’y songeaient pas.» (Ibn Khaldoun, Prolégomènes). Le poète, renommé et adulé, a beaucoup intéressé Boulifa et Feraoun qui ont recueilli et traduit son poème. Mammeri lui a consacré un ouvrage à la mesure de son envergure. Son travail d’investigation et de reconstitution a dû nécessiter un travail fondé sur de nombreux témoignages. Sur des centaines de poèmes anonymes, il a fallu trouver lesquels sont de Si Mohand et lesquels sont produits par d’autres. Il n’y avait aucun document écrit qui permette de retrouver quelques références sur les spécificités du poète parmi d’autres. La société a été privée d’écriture pendant des millénaires. « La nature l’avait prédisposé à être le poète d’une génération inquiète, douloureusement tiraillée entre un ordre qu’elle a perdu et un ordre nouveau qui la heurte. Une sensibilité d’écorché et que le son d’un hautbois remuait. Une grande intelligence qui ne lui laisse même pas le bonheur bestial d’ignorer sa misère ou ses fautes », dit Mammeri dans une présentation ancienne de la poésie.

Si Mohand Oul Hocine

Poète aussi talentueux que les prédécesseurs, mais à sa manière. La thématique de Cheikh Mohand Oul Hocine est particulière : elle porte essentiellement sur le vécu collectif et le domaine religieux. Si Si Mohand était un pécheur incorrigible, Cheikh Mohand était connu comme saint incorruptible. Ce qui lui a valu de recevoir beaucoup de visiteurs chaque jour. On venait à lui pour lui demander conseil, l’entendre parler, solliciter sa baraka en lui apportant une ouâda. Cheikh Mohand avait aussi la réputation d’être un pur puritain non porté sur un quelconque désir de s’enrichir. Le matériel ne lui a jamais effleuré l’esprit et pour en apporter la preuve certaine, on a chanté sur lui quelques vers d’une beauté extraordinaire. On raconte que le grand cheikh qui a appartenu à la même secte religieuse que le grand cheikh Ahaddad, s’est rendu à une fontaine pour se désaltérer, et à sa grande surprise, il eut à la place de l’eau des pièces de monnaie. «Fontaine, a-t-il dit, j’ai besoin d’eau et non d’argent parce que la vie ici n’est qu’éphémère.» La légende chantée est rapportée en vers rimés et rythmés ; elle est classée dans la catégorie des chants religieux. Ce qu’on a retenu d’essentiel de lui c’est son appartenance à la confrérie rahmaniya dont il s’est proclamée le digne représentant en Grande Kabylie, titre que lui avait contesté cheikh Aheddad – et son itinéraire hors du commun. On ne pourra jamais oublier sa rencontre pour la première fois avec Si Mohand. Ce dernier venu le voir était resté muet. Pourquoi ne parle-t-il pas ? dit cheikh Mohand, est-il devenu subitement muet ? «Non, ont rétorqué les khouan, le poète ne parle qu’avec son carburant. D’ailleurs, si tu veux, on va le lui apporter.» «D’accord», répondit le grand maître. Et sitôt que Si Mohand alluma sa pipe, il devint un torrent de mots versifiés. Emerveillé par tant de poésie, cheikh Mohand lui demanda de répéter. «Non, je ne répète jamais», lui dit l’illustre visiteur. «Vas-t-en de chez moi, lui répondit-il alors, et que Dieu te fasse mourir en terre étrangère.»

Boumediene A.

 
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